L’interlocutrice devant moi parlait, mais mon cerveau refusait de croire ses paroles. Une petite voix me disait que ce qu’elle racontait faisait du sens. Ça expliquerait tout en fait : la froideur, la distance, les messes froides, les disputes me concernant. La dame se faisant passer pour ma tante me dit qu’elle a trouvé un homme prêt à l’épouser, un Américain. Elle aimerait m’inclure dans la demande de parrainage. Elle aimerait m’offrir une chance de réussir. Quelque chose que sa sœur n’a jamais eu, car trop occupée à prendre soin de sa mère et de ses sœurs. Je suis littéralement sur le cul. Si elle dit la vérité, ça reviendrait à dire que mon père n’est pas vraiment mon père, ma mère non plus, ma famille en général. Tous des étrangers qui ont bien voulu de moi — du moins certains. Interloqué, je l’observais.
Ensuite, je m’excusais, en lui expliquant que je devais rentrer. Mon père déteste que je traîne après les cours. Elle règle notre facture, et se lève prestement. En la fixant du regard, je me rends compte d’une chose : elle porte une croix autour de son cou. Je ne peux m’empêcher, alors je lui demande si elle est catholique. Elle répond par l’affirmative en ajoutant que sa sœur l’était aussi tout comme sa mère. Et là, je souris. Une lumière s’allume. Je me réjouis, car je sais qu’elle ment. La serveuse Awa s’approche de nous avec le change. Tout à coup, je me sens comprimé. Et si elle disait la vérité ? Le doute s’empare de moi. La respiration devient difficile entre ces quatre murs et la chaleur des fournaises. Bientôt, l’heure de l’Asr. D’un pas pressé, je sors du restaurant qui fermera pour l’heure de prière. La tête ailleurs, je marche sur la route poussiéreuse. Nous sommes en décembre, les mbenguistes rentrent pour les vacances. Comme la plupart du temps, ces ressortissants sénégalais vivent dans des pays précédemment chrétiens, ils ne disposent que de grands congés uniquement lors de la période de Noël. Chrétien. Je n’ose même pas l’imaginer chrétienne.
Marchant rapidement, j’arrive assez tôt à la maison, une heure avant l’Asr. Normalement, à cette heure, je devais être en classe. Mais à cause d’un incident, le proviseur nous a demandé de rentrer. J’ouvre le portail, surpris qu’il ne grince plus. Mon humeur s’illumine quand mon regard tombe sur la voiture de papa. J’entends les voix de deux personnes se disputant à l’intérieur de la maison. Je reconnais celle de papa et… de maman.
— Je ne comprends pas pourquoi tu refuses qu’elle adopte cet enfant. Il n’est pas ton fils. Tu t’en occupes depuis qu’il est né, ça suffit !
— Tu ne comprends donc pas, Awa. C’est notre fils…
— Non, il ne l’est pas. Ce n’est pas mon sang qui coule dans ses veines encore moins le tien ! C’est un bâtard, et sa mère…
— était une pute, soufflé-je.